LE HARCELEMENT MORAL AU PRISME DU POUVOIR DISCIPLINAIRE DE L’EMPLOYEUR
- Julien DAMAY
- il y a 7 jours
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La loi du 17 janvier 2002 définit le harcèlement moral au travail comme des agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (Art. L1152-1, code du travail).
Ce phénomène, toujours très présent dans le monde professionnel, continue d'alimenter le contentieux prud'homal.
Mais il ne faut pas être naïf : l’invocation de cette notion dans le cadre d’un stratégie judiciaire dans les contentieux est fréquente car elle offre plusieurs intérêts :
une prescription allongée à 5 ans à compter du dernier acte présumé de l’auteur,
un régime probatoire favorable pour le salarié (appréciation globale des faits, et l’employeur doit prouver que ces actions étaient justifiées par des éléments étrangers à tout harcèlement),
un déplafonnement des indemnités accordées par le juge, (indemnités pour licenciement nul d’un minimum de 6 mois de salaires bruts + dommages et intérêts en compensation du préjudice moral)
C’est pourquoi la Cour de cassation est à la recherche d’un équilibre délicat, comme en témoigne une série d’arrêts rendus par la chambre sociale de la Cour de cassation le 6 mai 2025, qui confirme l’importance de la protection du salarié face au harcèlement moral.
Ces décisions invitent à s’interroger sur les interactions entre harcèlement moral et exercice du pouvoir disciplinaire par l’employeur.
I/ LE HARCELEMENT MORAL, UNE LIMITE AUX SANCTIONS DISCIPLINAIRES
Le code du travail pose clairement le principe selon lequel un salarié victime de harcèlement moral ne peut pas être licencié pour avoir subi ou refusé de subir ce harcèlement. Aux termes de l’article L1152-3 du code du travail, le licenciement prononcé dans ces conditions est nul. Si le harcèlement est reconnu, le salarié peut demander sa réintégration au sein de l’entreprise avec une indemnité d’éviction ou à défaut, le versement d’une indemnité non plafonnée.
C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans un des arrêts rendu le 6 mai 2025 (Cass. Soc., 6 mai 2025, n° 23-17.005). En l’espèce, un salarié a été déclaré inapte au travail en raison de souffrances au travail, résultant d’un management harcelant. Son employeur l’a licencié pour inaptitude. La chambre sociale est venue affirmer que le licenciement pour inaptitude du salarié consécutif au harcèlement subi par celui-ci doit être considéré comme nul.
Par ailleurs, la Cour de cassation rappelle l’office du juge dans l’appréciation de la situation de harcèlement moral au travail. Ainsi, il lui revient d’examiner souverainement l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, notamment en prenant en compte les documents médicaux produits et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral (Cass. Soc., 6 mai 2025, n° 23-15.641).
En outre, les salariés qui, de bonne foi, relatent ou témoignent de faits de harcèlement moral sont protégés, même si ces faits ne sont pas prouvés par la suite, ce qui les protège théoriquement de toute mesure de rétorsion, qu’il s’agisse d’un licenciement, d’une mutation, d’une rétrogradation, d’un avertissement ou de toute autre sanction disciplinaire.
Le seul fait de relater des faits inexacts ne suffit pas, en soi, à justifier une sanction disciplinaire (Soc. 13 avr. 2023, n° 21-23.753).
Le chemin est donc très étroit pour l’employeur qui doit démontrer que le salarié avait connaissance de la fausseté des faits qu’il a dénoncés.
En parallèle à l’interdiction de sanctionner disciplinairement une victime de harcèlement moral l’employeur a l’obligation de réagir face à l’auteur des faits.
II/ LE HARCELEMENT MORAL, UNE FAUTE PROFESSIONNELLE
Aux termes des articles L.4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, il incombe à l’employeur une obligation de sécurité. De ce fait, il est tenu de prendre les mesures nécessaires afin d’assurer la sécurité et la santé des travailleurs au sein de l’entreprise. Depuis l’arrêt « Air France » du 25 novembre 2015, c’est une obligation de moyens renforcée. Cette jurisprudence bien établie met l’accent sur la prévention et non plus sur la réparation. Il revient alors à l’employeur d’apporter la preuve de ses diligences en matière de prévention.
A ce titre, il doit donc mettre en place des actions de prévention utiles contre le harcèlement moral au travail et réagir de manière rapide et efficace à tout signalement de harcèlement. L’employeur est donc tenu de traiter la situation de harcèlement qui se déclare à lui en procédant à une enquête, en accompagnant la victime, et en sanctionnant le(s) fautif(s).
Cela peut notamment le conduire à licencier un salarié auteur de faits de harcèlement moral. C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans un des arrêts rendu le 6 mai 2025 (Cass. Soc., 6 mai 2025, n° 23-14.492). En l’espèce, les méthodes de management d'un salarié ont entraîné une situation de souffrance au sein de son entreprise, situation dénoncée par des salariés et le médecin du travail. La haute juridiction a approuvé son licenciement pour faute grave, estimant que son comportement rendait impossible son maintien dans l’entreprise.
Par ailleurs, dans une autre décision rendue le même jour, la chambre sociale est venue préciser les contours du principe non bis in idem en matière disciplinaire. Si un fait fautif ne peut en principe être sanctionné deux fois, la poursuite du comportement fautif par le salarié permet à l’employeur de se prévaloir une seconde fois du fait fautif afin de le sanctionner à nouveau. (Cass. Soc., 6 mai 2025, n° 23-19.041). Cette précision revêt une importance particulière dans les situations de harcèlement moral qui se caractérisent justement par la répétition des agissements. L’employeur conserve donc la possibilité d’intervenir à nouveau si les faits se poursuivent, malgré une première mise en garde.